Rien n'était plus comme avant. Tout
avait changé depuis déjà longtemps. L'air était chargé d'un
nouveau souffle. Un souffle amer, qui envahissait leurs narines et
leur laissait une saveur astringente dans la bouche. La fumée
crachée par les cheminées industrielles s'envolait pourtant loin,
emportée par le vent, mais l'haleine du ciel était gorgée de
relents. Ils la sentaient partout où ils allaient.
Le bip de compte à rebours tinta. Dans
six minutes, tout volerait en éclats. Les Résis-terre se
rassemblèrent en formation serrée, et s'élancèrent dans le
couloir principal. Leur masse noire se scinda en petits groupes, et
se répartit à travers les différents points stratégiques du site.
L'usine « Towers » était l'une des plus polluantes de la
région, peut-être même du pays. Elle déversait régulièrement
quantité de produits toxiques dans le fleuve s'écoulant à
proximité, et achetait la cécité des dirigeants politiques par un
grand nombre d'emplois. Il fallait qu'elle arrête. Qu'elle cesse de
sécréter ses fluides putrides. On les traiterait certainement de
fous. On les qualifierait sûrement de terroristes. Mais peu
importait. Le temps des atermoiements, des « peut-être qu'il
faudrait », des « on verra le moment venu », était
révolu.
Ils posèrent leurs charges explosives
sur une trentaine de points, sélectionnés par l'ingénieur qui
avait rejoint leurs rangs. La sécurité, dans ces usines hautement
nocives pour la planète, était minime, comme si polluer était
devenu naturel et ne craignait aucune remise en question. Les
éclaireurs s'étaient chargés de prendre les employés en otage, et
de les faire sortir du bâtiment. Aucune perte humaine ne serait
tolérée dans ces opérations, s'ils voulaient être soutenus par
l'opinion.
Les files sombres des Résis-terre
remontèrent les boyaux de l'usine à toute vitesse et rejoignirent
la sortie, poussés par la pression du compte à rebours qui semblait
hausser le ton à chaque seconde. Ils jaillirent hors du bâtiment,
imbibés d'adrénaline, et rivèrent leur regard sur les vans qui les
attendaient au loin, au-delà des grillages. Le bip leur hurlait
d'accélérer, tel un officier braillant sur ses soldats. Il fallait
courir, courir vite, pour sortir du champ de déflagration.
Debout devant le véhicule de tête,
Max les observait le cœur battant, les tirant jusqu'à lui par des
fils invisibles, scandant mentalement les secondes. Il les voyait
fuir le temps, et chercher à le rattraper. Il les voyait tarder...
et se rapprocher du néant. Il sentit sa bouche s'assécher.
Ils avaient su, en acceptant cette
mission, que les risques étaient grands. Ils les avaient pris
consciemment. La conscience était devenue leur mode de
fonctionnement. Pour certains, elle s'était présentée de manière
fulgurante, telle une illumination. Pour d'autres, elle était le
résultat de plusieurs années de cheminement. Mais pour tous, elle
fut le halo qui les entoura de ses bras lorsque l'explosion les
pulvérisa. Ils n'eurent que le temps de sentir son souffle, avant de
disparaître dans son gouffre.
Les yeux de Max se mirent à briller.
Les Résis-terre venaient officiellement de naître. Mais c'était
dans la mort qu'ils fêtaient leur baptême.
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